Souvenir de Panama
Le monde défilait, tu lui tournais la tête,
Sûr qu’il attendrait ton tour.
Le monde, ce jour- là, avait l’allure parfaite
D’un vaisseau au long cours.
Venait-il des Indes ou bien de Cipango,
Solitaire et blasé tu feignais d’ignorer,
Ou bien des Antipodes ou de Valparaiso ?
Pendant qu’autour de toi on jouait à qui saurait !
C’était à Miraflore où pivotait l’écluse .
Et je rêvais du jour où je t’ai contemplé
Dans un berceau pimpant, dormant avec ma muse
Au bord d’une autre rive où les coques haletaient,
Déjà indifférent aux trafics vraquiers.
Pourtant j’imaginais qu’un jour t’arrive
Ce qui m’est arrivé : trouver sa liberté
Aux carrefours du monde ,et qu’explorer les rives
C’était déjà rêver de ponts vers l’avenir.
Mais c’était autrefois et nous étions heureux !
Tout nous était possible , il suffisait de dire :
Le monde ces temps- là se ployait à nos vœux.
Aujourd’hui est menace, qui vive ! aux barrières.
Rien n’est plus sûr , hélas, rien n’est moins sûr, non plus.
Et tout pas en avant peut tirer en arrière .
Le brillant avenir qui gouvernait nos vues
Devient illisible et nous jette au hasard .
Mais il faut bien voguer au milieu des périls
Et larguer les amarres !
Le large qui t’attend est un mouvant asile.
C’est là que l’âge compte et qu’écouter les rares
Qui ont conduit leurs vies tête aux vents dominants,
C’est choisir la sagesse . Ils ont vu des tempêtes
Et pour les surmonter, ont trouvé des courants
Qui les ont dirigé vers ces canaux en quête
De nouveaux océans.
Les vents leur ont apprît que, pour être conduit,
Il faut toujours marier les rives et les rêves.
Alors, jeune étourdi que le canal ennuie,
Regarde ! Le monde passe, un nouveau jour se lève.
Ces coques qui balancent entre océans et mers,
Glissant sous ton berceau ou encombrant ta vue,
Sont le sang de la race et les outils des pères.
Sans eux le monde meurt, qu’elles voguent, et tout est vu.
Regarde ! leurs sillages t’invitent à les rejoindre.
Détroits, presqu’îles, canaux, ces rives à gagner,
Tu les verras, entre tes rêves, crânement poindre
Pour te guider à celles que tu t’ais assignées.
Ta vie sera heureuse car tu l’auras gardée
D’entrer à reculons dans l’océan du monde
De grand-père pour Achille
Christian Mégrelis, Oct 2020