Parce que nous craignons la brûlure des yeux,
Notre bonheur sera simple et silencieux.
D’autres ont leurs plaisirs et nous avons le nôtre :
Respirer doucement assis l’un près de l’autre ;
Nous entourer le cœur d’oiseaux et d’animaux
Qui ne connaissent pas l’affreux venin des mots ;
Hanter les fleurs, les fruits, les herbes et les pailles
Et les arbres penchés par-dessus nos murailles ;
S’il pleut ou s’il fait froid ou nuit, dans la maison
Nous occuper longtemps de rêve et de raison ;
Nous coucher, mollement au fond des chambres pleines
D’objets choisis et purs et d’accueillantes laines,
Et retourner ainsi des étés aux hivers,
Des roses du jardin aux flammes des feux clairs,
Graves et chérissant, moi ton profil d’ivoire,
Ton cœur d’enfant, ton rire inouï, ton grimoire,
Toi mes libres cheveux ruisselants d’ombre et d’or,
Mes songes, mon silence et mon âme du Nord…
Lucie Delarue-Mardrus, Horizons, Tendresses, 1904