à Joséphine Bacon
« mon dos ressemble à une montagne
sacrée, courbée d’avooir aimé tant de fois »
Joséphine Bacon
Je t’ai connue par le plus grand des hasards, Joséphine Bacon,
et ton premier poème était une trace dans la neige,
une trace de raquettes qui filait droit vers le Nord,
là où le gel fige les eaux, les âmes et les hommes,
et seuls les caribous écrivent des poèmes à coups de cornes
sur l’écorce des bouleaux
Je t’ai connue par le plus grand des hasards, Joséphine Bacon,
m’étonnant que la Nation Innue ait une âme, dans ce monde sans âme,
sans vie, sans mouvement, sans espoir,
quand le Soleil déserte la Terre,
et certes mon étonnement ne procède que d’ignorance,
car la poésie de Dieu est partout dans ce monde,
plus encore même chez les peuples premiers.
J’ai appris que les poèmes n’étaient pas faits de mots, mais de gestes,
d’un regard de chasseur posé sur le visage d’un enfant de trois ans,
d’un mouvement de la tête vers le ciel,
d’un crissement de pas dans la neige,
et dans cet espace immense et désolé, combien futiles m’ont paru
nos pauvres mots d’êtres sans autres horizons que la ligne des métros,
les gratte-ciels, les autoroutes et les parkings de supermarchés
Alors, Joséphine Bacon, j’ai été pris de terreur,
craignant à juste titre que la Nation Innue jamais ne nous pardonne nos crimes
à son égard, les enfants enlevés à leurs mères pour leur apprendre la parole de Dieu
dans leurs institutions dites chrétiennes,
et le regard noir et triste des nonnes dans les longs couloirs des pensionnats
Oui, Joséphine Bacon, demande à la Nation Innue de nous pardonner,
de nous apprendre à lire la trace d’un traîneau dans la neige,
filant droit vers le Nord, vers le grand lac gelé,
où les bouleaux eux-mêmes ont perdu tout espoir de revoir le Soleil
Pardonne-nous, Joséphine Bacon, et vous Peuples Premiers, ensemble
apprenez-nous à lire les poèmes gravés à coups de cornes par vos frères caribous
sur l’écorce tendre des bouleaux
Villebramar, décembre 2024