Le grand hachoir

Jean-Pierre Villebramar

à ma maman
« Röslein sprach: ich steche dich,
Dass du ewig denkst an mich,
Und ich will nicht leiden »
Goethe

Il coupe des tranches de temps,
d’elles, faisant de grands moments
de joie, avec de grands ciels bleus et des baignades en rivière,
mais pas que

Je n’en dirai pas plus, car mes amis me disent pessimiste,
à cause de
ce que j’appris après, mais seulement après

Mon premier souvenir est à trois ans, du bord de ma fenêtre
j’applaudissais des allemands tous habillés pareil et ils jouaient
de la musique, c’était bien; pourquoi maman m’a retiré,
pris dans ses bras et refermé tous les volets de la maison, je me suis dit
qu’elle n’aimait pas leurs musiciens, maman,
aux allemands

Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris,
mais je n’en dirai rien puisque j’ai dit
que je ne garderai que les ciels bleus et les oiseaux,
même allemands,
maman!

Ainsi le grand hachoir découpe chaque jour
ses tranches de ciels bleus et de baignades en rivière;
l’eau en est claire et il y a des poissons, des truites arc-en-ciel
Du reste, je ne parlerai pas, puisque dit-on on ne plaisante pas
avec le grand hachoir,
même allemand,
maman!

La vie est faite de hasards, de grands et de petits hachoirs,
et me voilà vingt ans après à Trèves, tout habillé
de ma belle tenue kaki
chez mes amis les allemands,
maman!

Villebramar, 2025

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