La Rivière de Cassis roule ignorée
En des vaux étranges :
La voix de cent corbeaux l’accompagne, vraie
Et bonne voix d’anges :
Avec les grands mouvements des sapinaies
Quand plusieurs vents plongent.
Tout roule avec des mystères révoltants
De campagnes d’anciens temps ;
De donjons visités, de parcs importants :
C’est en ces bords qu’on entend
Les passions mortes des chevaliers errants :
Mais que salubre est le vent !
Que le piéton regarde à ces claires-voies :
Il ira plus courageux.
Soldats des forêts que le Seigneur envoie,
Chers corbeaux délicieux !
Faites fuir d’ici le paysan matois
Qui trinque d’un moignon vieux.
Arthur Rimbaud, Derniers vers
Il y a la couleur aussi, plus inquiétante alors est cette atmosphère fantastique…
La rivière de Cassis est un fleuve d’eau douce souterrain issu des eaux de pluie du massif de la Sainte-Baume et débouchant mêlé à l’eau de mer dans la calanque de Port-Miou à Cassis. Les mots choisis par le poète n’évoquent pas vraiment le contexte local (corbeaux, paysans, sapinaie, chevaliers errants…). L’hypothèse évoquée ci-dessus est donc intéressante.
J’ai découvert ce poème récemment et je suis surpris que, alors que tant de gens s’interrogent sur le sens de l’expression « rivière de Cassis » (ou sans doute plutôt « de cassis »), personne apparemment n’ait pensé à la « rivière de cassis » (smorodina reka) qu’on trouve dans les contes russes, et qui sépare le monde des vivants du monde des morts. Est-il invraisemblable de penser que Rimbaud ait pu avoir connaissance de ce mythe, et qu’il y fasse ici référence ?