Oyez la triste histoire d’un pitre.
Pleurez, pleurez en écoutant.
Une vie durant porta ce titre.
Puis tout cessa. Soudainement.
Heureux comme un poisson dans l’eau
quand il grimaçait sur les planches,
il avait cent tours dans sa manche.
On se tordait. Criant : bravo !
Bienfaiteur de l’humanité
qu’il distrayait de ses misères,
il faisait rire à s’étouffer
mettant en joie des salles entières.
Pourtant à chaque apparition,
un trac affreux, puissant, félon,
le harcelait de ses morsures.
Ce n’était guère une sinécure.
Mais il adorait ses angoisses.
Jamais n’aurait cédé sa place
et sombrement appréhendait
de ne plus être qu’un passé.
Eh bien voilà, c’est arrivé..
Il est fini son temps de gloire.
Pleurez, pleurez, vous, l’auditoire !
Quoi ? Nulle larme ne versez ?
Ah ! Quelle affreuse ingratitude !
Rien ne justifie l’attitude
d’un public qui, sans un regret,
vers d’autres pitres s’est tourné.
Pourtant qu’y faire ? Soudainement
il ennuya, rien ne créant
et se bornant à rabâcher
vieux trucs et machins éculés.
Tout se mettait de la partie
comme une grande trahison.
Sa mémoire, ses jointures, son ton.
Il restait seul , tel un oubli
Avec les ans qu’il encaissait
et comme plus rien ne l’attendait,
parfois il s’offrait des grimaces.
Pour se distraire. Devant la glace.
Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978